La biodiversité marine bretonne est stable... mais pas tant !

Le
Laboratoire des Sciences de l'Environnement marin (LEMAR)
Plage

Les travaux de doctorat de Chirine Toumi, qui a soutenu sa thèse en mars 2023, ont fait l’objet d’un article scientifique publié dans la revue Ecography, revue scientifique spécialisée dans l’écologie spatiale et temporelle : « Mon article a été accepté il y a quelques mois, après un processus d’écriture long et complexe. C’était un soulagement, mais aussi une reconnaissance de mes travaux. » Rencontre avec Chirine Toumi pour découvrir les résultats de cette étude, publiée en première page du numéro de juin 2023.

La marée noire qui a suivi le naufrage de l’Erika en 1999 a conduit à une véritable catastrophe écologique, mais a aussi permis de mettre en évidence un manque : les scientifiques n’avaient pas de connaissance précise concernant les espèces d’invertébrés vivants dans les milieux marins bretons. N’ayant pas de base de référence, ils n’ont pas pu évaluer l’impact de la marée noire sur les populations. Face à ce constat est né le réseau de surveillance benthique (REBENT), piloté par l’UBO, l’Ifremer, les Stations biologiques de Roscoff et de Concarneau, l’université Paris-Cité et le CEVA. Depuis 2003, ce réseau régional recueille des données sur la macrofaune benthique, soit les espèces d’invertébrés de plus de 1mm vivant sur le fond des habitats marins sableux et rocheux. Au total, plus de 50 stations de prélèvement sont réparties sur tout le littoral breton.

Objectif : mieux connaître les communautés écologiques de macrofaune benthique en Bretagne en étudiant les espèces présentes, le nombre d’individu pour chaque espèce et leurs interactions.

Les travaux de Chirine Toumi se basent sur ces données. Elle s’intéresse à la dynamique des communautés, c’est-à-dire comment les communautés ont évolué dans le temps et l’espace. Au total, elle étudie environ 980 espèces d’invertébrés benthiques sur 26 sites de prélèvements : « dans le cadre de cette étude, j’ai choisi 26 sites sur les 50 du réseau REBENT. J’ai sélectionné ceux qui ont bien été échantillonnés tous les ans, afin d’avoir des séries temporelles complètes. »

Les échantillonnages sont répartis dans quatre habitats distincts :

  • Deux habitats sédimentaires nus, un dans la zone intertidale (zone de balancement des marées, estran) et un dans la zone subtidale (zone en dessous du niveau de variation des marées, toujours immergée) ;
  • Deux habitats biogéniques, c’est-à-dire formé par des espèces fondatrices, ici : les herbiers de zostère (prairies sous-marines) et les bancs de maërl (tapis d’algues rouges calcaires). La préservation de ces deux habitats emblématiques des fonds marins bretons est un véritable enjeu, puisqu’ils abritent une grande diversité d’espèces animales et végétales.
DescriptionHabitat

© Chirine Toumi - Description des 4 habitats

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©Chirine Toumi - Répartition des habitats

Des communautés bretonnes stables...

Grâce à des analyses statistiques, Chirine Toumi a pu mettre en évidence des résultats inattendus : « on a obtenu des résultats auxquels on ne s’attendait pas : à l’échelle régionale, les communautés écologiques sont plutôt stables, mais on observe des différences au niveau local. »

Chaque habitat évolue de manière différente au cours du temps. Par exemple, les communautés d’habitats nus intertidaux ont présenté de plus forts changements de dominance d’espèces lors des premières années du suivi comparé aux suivantes, cela pouvant être dû à l’effet de plusieurs tempêtes successives. Cet épisode n’a pas eu le même impact sur les habitats biogéniques, et notamment sur les herbiers de zostères. Les herbiers forment des abris et produisent des ressources pour les autres espèces de l’écosystème. Ils jouent le rôle de tampon environnemental : « dans un environnement confronté à des conditions difficiles, dont la zone intertidale, les espèces formant des habitats, comme les zostères, peuvent soutenir la biodiversité et le fonctionnement de l'écosystème par la réduction du stress physique et thermique. » précise Chirine Toumi.

Les bancs de Maërl sont également des habitats stables. La grande diversité d’espèce qu’ils abritent permet de maintenir la stabilité des communautés dans leur ensemble : « les fonctions écologiques étant partagées par un grand nombre d’espèces, certaines pourraient prendre le relais sur d’autres touchées par de potentielles perturbations. » Mais attention : le maërl est une algue qui pousse très lentement, une catastrophe naturelle ou anthropique peut alors avoir des conséquences dramatiques sur l’écosystème. Il est donc nécessaire de les préserver pour maintenir la stabilité de l’écosystème et des communautés écologiques qu’ils abritent.

... mais des habitats locaux à préserver

L’étude menée par Chirine Toumi montre donc un lien fort entre le type d’habitat et l’évolution de la biodiversité. La Bretagne est constituée d’une mosaïque d’habitat marin, chacun très riche en espèce : cette grande diversité amplifie la stabilité observée chez les communautés d’invertébré à l’échelle régionale. « Les résultats obtenus indiquent que la destruction d’un habitat à une échelle locale, suite à une catastrophe naturelle ou anthropique par exemple, peut avoir des conséquences à l’échelle régionale. Ces effets sont d’autant plus marqués dans un contexte de changement climatique. » indique Chirine Toumi.

Les travaux de Chirine Toumi ouvrent aujourd’hui de nouvelles perspectives scientifiques : « cette étude souligne l'importance de prendre en compte l'échelle d'observation dans les études temporelles car une hétérogénéité locale observée peut faire partie d'un système relativement homogène. ».

À l’avenir, cette méthodologie, permettant de connaître l’impact de la disparition d’un habitat sur la biodiversité régionale pourra aussi être utile aux gestionnaires d’espace naturels pour prioriser les sites naturels à préserver pour maintenir la biodiversité à l’échelle globale.

D’autres perspectives s’ouvrent également pour la poursuite de l’étude, notamment sur le lien entre dynamique spatiale et temporelle des communautés et pressions anthropiques. Affaire à suivre…

Pour en savoir plus

L'article de Chirine Toumi publié en juin 2023 dans la revue Ecography est disponible en libre accès :

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