
Youenn Leon est doctorant en sociolinguistique et en archéologie au sein du centre de recherche bretonne et celtique (CRBC) de l’UBO. Mais, c’est quoi la sociolinguistique ? “La sociolinguistique, c’est une discipline qui s’intéresse plus particulièrement à l’usage social des langues. C’est-à-dire comment les langues sont influencées par les normes culturelles, le contexte, le temps… mais aussi par les variations spatiales. Le langage peut fortement varier selon le territoire."
C’est cette thématique de la variation spatiale du langage qui est au cœur de la thèse de Youenn. Dans ses recherches, il s'intéresse plus particulièrement aux interactions Homme/mer dans le Finistère Nord à travers la toponymie et l’archéologie. “La toponymie c’est le fait de nommer les lieux. Je m’intéresse plus particulièrement à la toponymie du littoral au cours des trois derniers siècles. En effet, au 17è siècle, qui est l’époque la plus ancienne à laquelle ont peu remonter, et encore jusque dans la majeure partie du 20è , chaque plage, chaque roche, chaque trou de pêche avait un nom. Comme je travaille plus spécifiquement sur le littoral du Finistère Nord, forcément, ces noms sont en breton.”
Cartes et témoignages à la source
Traditionnellement les noms de lieux étaient transmis oralement, mais ils sont aussi consignés sur cartes. “Tous les toponymes ne sont pas retranscrits sur ces cartes, seulement ceux qui avaient un intérêt pour les cartographes, qui différait donc de l’intérêt des locaux, fins connaisseurs des lieux. Les termes ne sont donc pas figés comme on pourrait le penser avec les cartes.” C’est à partir du 19è siècle que les cartes deviennent plus précises et fixées pour la navigation, et donc moins renseignées d’un point de vue toponymique. Au 20è siècle, des inventaires sont menés pour recueillir des témoignages oraux et consigner les toponymes tels qu’ils étaient nommés et prononcés à cette période.
Ces cartes anciennes et les inventaires plus récents sont les sources essentielles des travaux de recherche de Youenn Leon. “J’ai constitué une base de données des toponymes du littoral sur plusieurs communes du Finistère Nord. En croisant ces différents éléments, je montre que certains lieux ont des noms différents selon les usages, par exemple un pêcheur ou un goémonier ne vont pas nommer les lieux de la même manière car ils ne vont pas avoir la même utilisation du lieu. Mais ce nom peut aussi varier en fonction de la commune d'origine de celui qui le nomme, ce qui montre que la mer est un lieu de transit et que chacun se l’approprie selon ses besoins. Les toponymes ne sont pas seulement une étiquette, ils sont aussi chargés d’histoire et d’attachement culturel et émotionnel. Je m’en rends compte lorsque je donne des conférences sur ce sujet. Encore aujourd’hui il y a beaucoup d’intérêt, certains font des recherches sur les toponymes de leur territoire, c’est comme un attachement viscéral.”
Des noms témoins du passé
Pourtant, même si les toponymes sont encore utilisés et connus, leurs significations ne le sont pas toujours. “Dans l’inventaire, j’ai retrouvé des noms de lieux qui utilisent le terme “gored” qui fait référence aux barrages à poisson. De nos jours, il n’y a plus de barrage à poisson en fonction sur le littoral breton, ils ne sont plus utilisés depuis le 19è siècle au moins Pourtant, le mot est resté dans de nombreux toponymes. On trouve toujours aujourd’hui des lieux qui contiennent le terme gored ou un dérivé. Finalement les toponymes gardent la mémoire des usages du passé.” Les barrages à poisson sont le point de départ du projet de recherche de Youenn Leon. “Des relevés topographiques* et bathymétriques* menés par le SHOM* ont permis de détecter des vestiges archéologiques submergés le long des côtes finistériennes, et notamment ce qui s’apparente à des barrages à poisson. Ces barrages en pierre construits sur l’estran sont utilisés pour piéger les poissons en fonction des marées. Les plus anciens remontent au début du Néolithique (6000-4000 av. J.-C.). Ils sont témoins de l’occupation humaine du littoral depuis au moins cette période. Pour mieux comprendre cette occupation et faire le lien avec la toponymie, je me suis formée au cours de ma thèse à l’archéologie du littoral.”
Finalement, toutes ces données linguistique et archéologique récoltées par Youenn Leon au cours de sa thèse répondent à un objectif : comprendre ce que veut dire nommer le littoral. “Nommer un élément c’est l’intégrer dans son propre domaine culturel. Quand on arrête de le nommer, c’est un changement de paradigme dans la relation humains/non-humains. On a aujourd’hui un rapport plus impersonnel aux éléments qui nous entourent, c’est aussi lié aux changements des modes de subsistance : on ne dépend plus uniquement des ressources du littoral pour se nourrir, on a donc moins besoin de les nommer. C’est valable également dans les terres. Autrefois, chaque champ avait un nom, mais suite au remembrement, ils ont été pour la plupart oubliés. Les usages sont différents et l’évolution de la toponymie est le témoin des changements socio-économiques.”
*La topographie permet de mesurer et de représenter les variations géographiques d’un terrain.
*La bathymétrie permet de mesurer la profondeur et les reliefs de l'océan.
*Service hydrographique et océanographique de la Marine
Youenn Leon, doctorant en sociolinguistique et en archéologie

Comment on devient doctorant en sociolinguistique ?
J’ai toujours eu un intérêt pour les langues en général et pour la langue bretonne en particulier. J’avais cette envie de problématiser les langues et de partir du cas du breton pour étudier la linguistique. Je me suis donc tourné vers le master “Civilisations, Cultures et Sociétés”, le master recherche adossé au centre de recherche bretonne et celtique (CRBC). J’ai ensuite fait quelques vacations pour le CRBC, avant qu’on me propose de rejoindre ce projet de thèse.
Pourquoi la recherche ?
Dans mon parcours j’ai toujours été au contact de la recherche, c’est vraiment une passion. J’adore cette stimulation intellectuelle que permet la recherche.
Et après la thèse ?
Bonne question ! Ce qui est sûr c’est que je ferais toujours de la recherche, mais peut-être à mi-temps. J’aimerais participer au décloisonnement de la recherche et l’amener au contact du public, à travers l’enseignement ou la médiation par exemple. Et toujours, en gardant un lien avec le littoral.
Trois minutes pour présenter sa thèse
En mars 2025, Youenn a relevé le défi de présenter ses travaux de recherche en seulement 3 minutes et avec l'appui d'une seule diapositive lors de la sélection Brest/Lorient-Vannes du concours Ma thèse en 180 secondes.