
Sols, atmosphère, rivières, océans et fonds marins, aucun écosystème n’échappe à la pollution plastique massive. Ces matériaux persistants, une fois relargués dans l’environnement, sont rapidement colonisés par une grande diversité de micro-organismes. C’est ce qu’on appelle la « plastisphère », un écosystème microbien qui se développe à la surface des plastiques. Le projet MycoPLAST (2020-2024), financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), avait pour but d’explorer cet écosystème microbien, avec un focus assez inédit sur les champignons marins. Objectif : identifier des espèces capables de dégrader des polymères synthétiques, comme le plastique, pour développer des solutions innovantes de valorisation de déchets plastiques. Rencontre avec Gaëtan Burgaud, enseignant-chercheur au laboratoire universitaire de biodiversité et d’écologie microbienne (LUBEM) et coordinateur du projet MycoPLAST.
"L’étude des micro-organismes associés aux plastiques connaît un véritable essor depuis une dizaine d’années, notamment depuis l’introduction du terme « plastisphère » en 2013. Il y a à ce jour très peu de laboratoires qui s’intéressent spécifiquement à la plastisphère fongique, mais au LUBEM, une partie de l’équipe s’est positionnée sur ce sujet aux enjeux tant scientifiques que sociétaux ». Les plastiques immergés dans l’environnement sont rapidement colonisés par un ensemble de micro-organismes, tels que des bactéries, des champignons et des virus. C’est cette platisphère et les espèces qui la composent, et principalement les champignons, qui intéresse Gaëtan Burgaud : « Les plastiques sont constitués de polymères, c’est-à-dire de longues chaînes de petites unités chimiques répétées. Pour les recycler ou les valoriser, il faut parvenir à découper ces chaînes. L’enjeu final est d’ajouter une composante biologique aux processus de recyclage physique et/ou chimique, en explorant l’action d’enzymes produites par certains champignons de la plastisphère. Cette approche pourrait ouvrir la voie à des solutions innovantes, plus durables et spécifiques, pour le traitement des déchets plastiques." En effet, les champignons sont réputés pour leur capacité à dégrader un large spectre de composés complexes via la synthèse d’enzymes. Ils représentent donc des candidats particulièrement intéressants pour tester leur capacité de dégradation de polymères synthétiques.
Quelques chiffres clés de la pollution plastique
Depuis 1950, plus de 8 milliards de tonnes de plastiques ont été produites dans le monde, dont environ 50 % ont fini dispersées dans l’environnement.
En 2019, 358 millions de tonnes de plastique ont été produites dans le monde, dont plus de 40 % destinées à un usage unique. Seuls 10 %des déchets plastiques sont recyclés. Environ la moitié des déchets et débris de plastique sont alors enfouis ou entreposés dans des décharges, souvent à ciel ouvert. Une gestion insuffisante de la fin de vie des plastiques favorise leur dispersion dans l’environnement, notamment par le vent, les précipitations ou les cours d’eau.
Des particules plastiques plus ou moins fragmentées, des macroplastiques (>25 mm) aux nanoplastiques (<1um), en passant par les microplastiques (entre 1um et 5 mm), se retrouvent partout dans l’environnement et notamment dans les océans. Une étude parue en 2023 estime à 171 000 milliards le nombre de particules plastiques flottant à la surface des océans, représentant environ 2,3 millions de tonnes ; une infime fraction du total. La grande majorité des plastiques se trouverait en réalité dans les fonds marins et les sédiments, où les quantités sont estimées à plusieurs centaines de millions de tonnes. Une pollution massive, invisible, mais durable, dont les effets sur les écosystèmes restent encore largement à évaluer.
Cartographier la pollution plastique
Première étape : comprendre comment les communautés de micro-organismes se structurent à la surface des plastiques dispersés dans l’environnement. "En 2019, j’ai participé à la campagne Tara Microplastiques*, qui a permis d’échantillonner neuf fleuves européens dans le cadre d’une étude inédite du continuum terre-mer. Pour chaque fleuve, nous avons réalisé des prélèvements d’eau et de plastiques sur plusieurs points stratégiques : en amont et en aval de la première grande ville, dans une zone de salinité intermédiaire, à l’estuaire, puis en mer au large des côtes. L’objectif était d’obtenir une cartographie de la pollution plastique à un instant donné et de faire le lien avec les communautés microbiennes. Nous avons analysé la composition et la structure de ces communautés grâce à des approches moléculaires basée sur l’analyse de l’ADN environnemental, en complément de nombreuses mesures physiques et chimiques." L’ADN environnemental est une technique mobilisant des outils génétiques afin d’identifier les espèces présentes dans l’environnement à partir de leur ADN récolté dans des échantillons de sol ou d’eau. "Ce qui m’intéressait tout particulièrement, c’était bien évidemment les communautés fongiques, ces micro-organismes souvent négligés mais omniprésents dans les milieux aquatiques." Objectif : comparer les espèces fongiques présentes sur les plastiques à celles retrouvées dans l’eau environnante, du fleuve jusqu’à la mer.
Les résultats sont sans équivoque : les plastiques sont systématiquement colonisés par des communautés fongiques distinctes de celles présentes dans l’eau environnante, et ces communautés varient selon le fleuve et la zone d’échantillonnage. "Dans les fleuves, les plastiques sont dans un environnement à salinité zéro, et ils sont colonisés par des champignons dès cet instant. Au fur et à mesure de leur avancée vers l’océan, la salinité augmente et les communautés fongiques changent : les espèces sensibles à la salinité sont éliminées progressivement et remplacés par d’autres espèces plus adaptées, c’est un processus très dynamique. Le remplacement des communautés était une vraie question pour nous parce que si des micro-organismes potentiellement pathogènes sont véhiculés par les plastiques le long des fleuves, ils peuvent alors être disséminés dans l’océan sur de très grandes distances et engendrer des conséquences néfastes à large échelle. A priori, notre étude montre que l’augmentation de la salinité agit comme une barrière et devient un frein à la dissémination de certaines espèces. Nous avons remarqué une forte ségrégation entre les plastisphères fongiques lacustres, des milieux d’eau douce, et marines. Mais d’autres études doivent être menées pour renforcer ces premières conclusions."
*La campagne scientifique Tara Microplastique, menée par la fondation Tara Océan, avait pour objectif d’explorer l’origine des microplastiques en mer et de comprendre leurs impacts sur les écosystèmes marins, en étudiant leur dispersion à la surface des océans et leur interaction avec le vivant.
Une nouvelle espèce capable de digérer le plastique
Si l’ADN environnemental permet d’identifier les champignons de la plastisphère sans les cultiver, pour aller plus loin dans l’analyse, il est nécessaire de passer par cette étape de mise en culture. Le laboratoire LUBEM est, entre autres, spécialisé dans la mise en culture d’isolats, soit des micro-organismes isolés à partir d’échantillons environnementaux, réunis ensuite dans des collections de culture préservée au sein de l’UBO culture collection. "Une fois que les micro-organismes sont en culture, on peut vraiment s'amuser !"
Cette stratégie a permis de constituer une collection de 2 500 isolats fongiques issus de divers échantillons de plastiques immergés en milieu marin. Les isolats sont ensuite soumis à différents tests au laboratoire. "Les champignons, comme tous les êtres vivants, ont besoin de sources de carbone pour se développer. Nous avons donc voulu savoir si le plastique pouvait jouer ce rôle, en tant que seule source de carbone disponible dans un milieu de culture minimum." Les milieux de culture sont dits minimalistes car la seule source de carbone présente pour les champignons est constituée de poudre de polymère uniquement. De nombreux polymères ont été testés, des conventionnels comme le polystyrène, et des polymères dits « biodégradables ». "L’idée est de « nourrir » les champignons avec ces poudres de polymères, puis de suivre leur croissance par des approches à haut-débit, afin d’identifier les isolats capables d’utiliser un ou plusieurs polymères comme source de carbone."
Aurélie Philippe, doctorante au LUBEM entre 2021 et 2024, a mené une campagne de tests à large échelle sur 300 isolats de champignons, exposés à 8 types de polymères et dans des conditions expérimentales variées (température, salinité...). Grâce à des outils d’analyse à haut-débit, plus de 300 000 mesures ont été obtenues. Toutes ne sont pas concluantes, mais certains isolats ont montré des pics de croissance significatifs, indiquant une capacité à dégrader les plastiques pour en extraire les nutriments nécessaires. "Avec ces tests, nous avons pu découvrir une nouvelle espèce de champignon, jamais décrite auparavant, qui utilise des polymères comme sources de carbone. La prochaine étape est de procéder à des analyses pour identifier précisément les gènes impliqués dans la production d’enzymes qui dégradent le plastique."
Mieux recycler les plastiques grâce aux enzymes de champignon ?
Trouver des solutions biologiques pour lutter contre la pollution plastique, c’est un des objectifs que poursuit Gaëtan Burgaud à travers ses recherches. Ce champ d’action, appelé bioremédiation, vise à utiliser les capacités naturelles de certains micro-organismes pour transformer ou dégrader des polluants, ici les plastiques.
Mais pourquoi passer par des solutions technologiques et ne pas simplement relâcher le champignon capable de dégrader le plastique dans les milieux pollués ? "On ne peut pas introduire une espèce fongique dans un écosystème sans en mesurer les conséquences. Les milieux naturels sont des systèmes complexes. Introduire un organisme étranger peut perturber l’équilibre écologique, voire provoquer des effets indésirables. C’est pourquoi nous souhaitons privilégier une approche à l’échelle moléculaire, basée sur les enzymes que ces champignons produisent."
Actuellement un projet de thèse est en cours de construction pour approfondir les analyses sur les isolats les plus prometteurs isolés précédemment. Ce projet intitulé « PLASTIVORE » permettra de décrire précisément les enzymes intéressantes et leurs propriétés. "Les premières analyses menées sur les champignons de la plastisphère répondaient à des questions de recherche fondamentale en écologie. Maintenant, on cherche à aller vers des solutions plus appliquées en biotechnologie. Mais il faut rester réaliste, la dépollution des milieux naturels est extrêmement complexe. Il est donc crucial d’agir en amont, en développant des procédés plus efficaces de dégradation et de recyclage des plastiques, par exemple grâce aux enzymes fongiques. Travailler avec des usines spécialisées permettra de contrôler ce processus et d’encourager à acheminer les déchets en fin de vie vers des centres dédiés plutôt que des décharges à ciel ouvert."
Mais la technologie ne peut pas tout. "Il ne faut jamais perdre de vue l’essentiel : la réduction massive de la production et de la consommation de plastique, avec une réflexion globale sur nos modes de consommation. La biologie peut certes offrir des solutions, mais elle ne remplace pas la responsabilité collective."
Comment devient-on microbiologiste ?
C’est un enseignant de l’IUT de Brest qui m’a transmis sa passion pour le monde invsible des micro-organismes. J’ai vite compris qu’on ne peut pas vivre sans eux… mais eux, peuvent très bien vivre sans nous ! J’ai réalisé à quel point ces organismes microscopiques jouent un rôle central dans les grands équilibres biogéochimiques. Cela m’a passionné, j’ai tout de suite voulu continuer mon parcours dans ce domaine.
Pourquoi la recherche ?
Ce qui m’a attiré d’abord, c’est le métier d’enseignant-chercheur. J’aime transmettre, partager les connaissances. En dernière année d’école d’ingénieur, j’ai suivi en parallèle un master recherche. Ce double cursus m’a ouvert les portes de la recherche et de l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, ce que j’aime particulièrement, c’est pouvoir faire avancer la science tout en la partageant avec les étudiantes et étudiants. Et puis, la recherche, c’est un métier de rencontres et de collaborations. On échange en permanence avec d’autres chercheurs, en France comme à l’international. Il y a une forme d’émulation intellectuelle très stimulante. On croise des personnes brillantes, on apprend sans cesse, et on se pousse à aller toujours plus loin.
Que rêveriez-vous de découvrir ?
J’ai commencé mes études supérieures dans le domaine de l’environnement, avec un IUT en Génie de l’environnement. Cette sensibilité à l’écologie ne m’a jamais quitté. De par mes recherches, j’aimerais contribuer à trouver des organismes « super dépollueurs » dont les enzymes pourraient être utilisés à des fins environnementales. C’est très utopique à ce stade, mais mener des recherches avec un impact environnemental concret, c’est ce qui m’intéresse vraiment. Et c’est en cohérence avec mon parcours.