La philosophie morale et politique de Platon s’est certes élaborée dans un cadre historique qui est celui de la démocratie athénienne de la première moitié du IVème siècle av. J.-C., mais elle n’est clairement pas une pensée « démocratique ». Dans la République, en particulier, que l’on peut à bon droit considérer comme le sommet du corpus platonicien en matière de réflexion éthique et politique, non seulement la démocratie fait l’objet d’une critique virulente, notamment à la fin du livre VIII, mais c’est au nom d’un modèle politique explicitement aristocratique que cette critique se formule, conduisant à réserver la direction de la cité à une élite restreinte de philosophes. Ce simple fait, semble-t-il, devrait être de nature à décourager, si ce n’est à disqualifier, toute tentative d’appropriation des propositions platoniciennes, pour espérer articuler, en se fondant sur elles, les questions de notre temps : comment pourrait-il être concevable, aujourd’hui, de ne pas envisager la démocratie, quel que soit le sens que l’on donne à ce terme, comme le seul horizon politique légitime ?
À y regarder de plus près, pourtant, l’aristocratie défendue par le Platon de la République ne paraît pas totalement étrangère à un certain nombre de préoccupations et de luttes, que nous serions enclin.es à considérer comme « démocratiques » : refus du caractère naturel de l’exclusion des femmes hors du champ de la vie publique et affirmation de la nécessité de les faire participer, à égalité avec les hommes, aux fonctions de direction ; mais également critique radicale d’une conception du pouvoir aboutissant à la domination et à l’exploitation des dirigés par les dirigeants, qui pourrait bien conduire à remettre en cause, à certains égards en tout cas, le bienfondé du principe même de l’esclavage. Le caractère aristocratique de la pensée platonicienne, de ce point de vue, ne saurait se laisser réduire à une pure et simple opposition à la démocratie, envisagée non pas tant comme forme spécifique de constitution politique, que comme processus et espace de conflictualité. C’est cette articulation paradoxale des positions éthiques et politiques, soutenues par Platon dans la République, à certaines aspirations naturellement apparentées au champ de la démocratie, que cette journée d’étude se donne pour objectif d’examiner. Il s’agira ainsi d’éprouver la capacité de ce grand texte platonicien – en dépit de la distance qui nous sépare de lui, mais aussi grâce à elle – à remettre en question nos évidences et nos présupposés, relativement à plusieurs questions morales et politiques fondamentales qui continuent de nous solliciter.
Bien conscient du caractère profondément subversif de la réflexion qu’il développe dans ce dialogue, Platon y est particulièrement attentif à la façon dont il formule sa critique et dont il présente les transformations des rapports sociaux pour lesquelles il milite, ainsi qu’aux modalités affectives de la réception de son discours par ses destinataires. Cette journée d’étude, inscrite dans le programme de recherche HCTI consacré au thème de l’urgence (axe 2, programme 8 : « L’urgence dans le texte-image : discours et esthétiques du temps court »), contribuera ainsi à mieux caractériser l’horizon éthico-politique au sein duquel se déploie l’approche critique de la notion d’urgence que vise à élaborer ce programme de recherche : elle permettra, en particulier, d’approfondir la réflexion sur la rhétorique de l’urgence, dont les précédentes journées d’étude ont montré qu’elle constitue une dimension centrale du problème que nous nous efforçons d’examiner.
Intervenant.es :
- Flora Mangini [en visioconférence], enseignante-chercheuse en philosophie antique à l’Université fédérale de Sergipe (Aracaju, Brésil) – Centre Léo Robin (UMR 8061).
- Paul Guerpillon, ATER en philosophie à l’Université de Strasbourg – Centre Jean Pépin (UMR 8230).
- Léo Boiteux, doctorant en philosophie antique à l’Université de Franche-Comté (Besançon) – Logiques de l’agir (UR 2274).
- Julie Mestery, doctorante en philosophie antique à l’Université Paris Nanterre – IRePh (EA 373).
- Graziella Channe-Kane, diplômée de Master en philosophie antique (UBO).
- Enzo Lesourt, docteur en philosophie politique (Université Grenoble Alpes).