
Langues MoDiMEs
Réalités, enjeux et perspectives
Numéro dirigé par Maria José Fernandez (HCTI, UBO), Molly Chatalic (HCTI, UBO) et Sophie Gondolle (CECJI, UBO).
Les congrès de l’Association Nationale et Internationale des Langues Étrangères (ANLEA-AILEA) placent régulièrement au cœur des thématiques abordées la vitalité des langues et en particulier l’importance des langues régionales, facteurs d’identité, garantes d’un passé et d’une histoire commune, enfin preuves d’enthousiasme pour les personnes et les communautés qui les maintiennent en partage[1].
Ces dernières années, un néologisme est apparu pour désigner les langues les moins diffusées et les moins enseignées, celui des langues MoDiMEs. Le terme regroupe en Occident un ensemble de langues majeures, comme le japonais, le russe, le néerlandais… mais aussi des langues plus petites. Les MoDiMEs incluent aussi ces langues plus communément dites rares, minoritaires, régionales, dialectales, parlers locaux, patois… qui ne sont, aux yeux du linguiste, « pas moins dignes d’intérêt sur le plan linguistique, mais leur emploi est le plus souvent limité à un usage restreint et (elles) ne sont généralement plus parlé(e)s que sur des territoires peu étendus[2] ».
Ce concept traduit la tension entre la possible disparition des plus petites langues (selon l’UNESCO « 7000 langues sont parlées dans le monde mais 25 disparaissent chaque année[3] ») et leur capacité à se renouveler. Dans ce contexte de la mondialisation les langues entrent en concurrence entre elles, entraînant le déclin des plus minoritaires.
Ces langues auront-elles la capacité à résister, survivre et se réinventer ? Comment le jeu de la mondialisation menace-t-il la place des langues MoDiMEs ? Si les langues dominantes peuvent infléchir les langues qui, de facto, sont considérées comme dominées et conduire à l’assimilation culturelle, au métissage linguistique, ou à un phénomène plus large d’acculturation, l’influence ne va pas dans un sens unique. Les langues majoritaires sont elles aussi contraintes de s’adapter en trouvant de nouvelles manières de coexister, de repenser leur positionnement à l’égard des MoDiMEs ou même d’encourager leur préservation. Lors du congrès ANLEA/AILEA de Strasbourg en 2022, des chefs d’entreprise sont venus rappeler, par exemple, la nécessité de maîtriser plusieurs langues dans les régions transfrontalières. Pour exister, les langues ne peuvent donc pas toujours être exclusives les unes des autres.
L’objectif de ce nouveau numéro de la revue RILEA[4] est de réfléchir aux dynamiques des langues en contact et de dresser en particulier l’état des lieux des langues dites MoDiMEs, à partir de trois axes :
1. Enjeux sociaux, culturels, linguistiques, traductologiques ?
La manière dont une langue est désignée influence la représentation que l’on s’en fait. Une langue devient minoritaire lorsqu’elle n’est plus en partage sur un territoire donné. Cette catégorisation a des conséquences sur son statut, sa représentation et son usage. L’interaction entre langues dominantes et langues dites régionales, dialectales ou sociolectales soulève des enjeux politiques et idéologiques majeurs, notamment en matière de normativité, de discrimination et de marginalisation. Les langues MoDiMEs apportent un ancrage local, identitaire et émotionnel qui infléchit les relations sociales et humaines.
Comment qualifier une langue qui devient minoritaire quand elle implique moins de locuteurs à l’échelle d’un territoire ? Sa désignation en modifie-t-elle les représentations voire l’usage ? Si une langue MoDiMEs permet un ancrage local, identitaire et émotionnel plus fort, quel rôle peut-elle alors jouer dans le phénomène de glocalisation, censé tenir compte des spécificités locales ?
Les variantes d’une langue à l’échelle mondiale divisent-elles leurs locuteurs ? Comment peut-on questionner le bon usage d’une langue ? La norme est-elle linguistique, politique, sociale ou n’est-elle pas, par essence, un principe de glottophobie ? A quoi tient la perception négative qu’une communauté peut avoir de sa propre langue ?
Quels sont les enjeux politiques et idéologiques des interactions entre les langues dites régionales, dialectales, sociolectales et les langues nationales (voire langues d’État) sur un territoire donné ? Comment cela se traduit-il éventuellement dans les politiques linguistiques ?
Comment les langues MoDiMEs trouvent-elles leur place sur Internet via les NTIC et à l’heure du développement de l’IA ?
2. Enjeux éducatifs et politiques pédagogiques
L’enseignement des langues MoDiMEs dans les universités et les établissements scolaires joue un rôle important dans leur transmission et leur préservation. Favoriser leur apprentissage permet de dépasser une approche purement utilitariste des langues et d’en comprendre le continuum dans des perspectives interculturelles. Un enseignement linguistique diversifié et pluriel peut alors devenir le garant de la vitalité des langues et de la diversité culturelle.
Quels sont les défis de l’enseignement des langues MoDiMEs en termes de formation des étudiants et de transmission intergénérationnelle ? Comment les politiques éducatives actuelles inscrivent-elles ces langues dans les programmes scolaires et universitaires ? Quels effets la scolarisation dans une langue véhiculaire nationale a-t-elle sur un enfant dont la langue maternelle est régionale ou dialectale en termes de continuum ou de rupture entre les langues ? Enfin, comment adapter les programmes pour les étudiants étrangers, en leur permettant une meilleure intégration universitaire et sociale qui valoriserait aussi leur identité complexe et plurilingue ?
3. Enjeux géopolitiques, économiques, commerciaux et juridiques
Dans un monde globalisé, l’usage des langues MoDiMEs dans les échanges internationaux interroge la domination de certaines langues comme l’anglais ou l’espagnol. Encourager la diversité linguistique au sein des institutions, des organisations professionnelles publiques ou privées, des entreprises, permettrait de rééquilibrer les rapports de force lors des négociations diplomatiques et commerciales.
Les entreprises, de manière contrainte ou choisie, adoptent des stratégies de communication ou de marketing qui intègrent les langues MoDiMEs.
Les langues régionales et minoritaires peuvent-elles jouer un rôle significatif dans les échanges économiques ? Peuvent-elles constituer un atout marketing et contribuer à une économie locale et durable ? Quelles en sont alors les conséquences en matière de rédaction de documents techniques, réglementaires et juridiques ? Enfin, face aux défis migratoires et aux problématiques des réfugiés politiques et climatiques, comment intégrer les langues MoDiMEs dans les dispositifs d’accueil et d’insertion sociale ? Dans quelle mesure poussent-elles parfois les langues dominantes à se repositionner pour une meilleure mise en œuvre de politiques commerciales ou économiques ? Qu’en est-il également dans le domaine juridique ?
Cet appel invite les contributions sous forme d’articles scientifiques ainsi que de témoignages, entretiens, retours d’expérience à partir des questions proposées dont la liste n’est pas exhaustive. Les articles pourront être rédigés dans les principales langues des formations LEA: allemand, anglais, arabe, chinois, espagnol, français, italien, russe.
Les articles pourront aussi être rédigés en langues MoDIMEs, en version bilingue, dans une des langues admises par notre règlement, sous réserve que la version en langue MoDIMEs puisse être relue par un universitaire.
Les résumés (500 mots) accompagnés d’une brève bio-bibliographie devront être envoyés avant le 30 septembre 2025 à Sophie GONDOLLE (sophie.gondolle@univ-brest.fr), Maria-José Fernandez (fernandezv@univ-brest.fr) et Molly Chatalic (molly.chatalic@univ-brest.fr), de l’université de Bretagne Occidentale (Brest).
Bibliographie indicative
Becetti Ali, Blanchet Philippe, Colonna Romain (dir.), Politiques linguistiques et plurilinguismes. Du terrain à l’action glottopolitique, Paris, Éditions L’Harmattan, 2013.
Bertile Véronique, Langues régionales ou minoritaires et Constitution : France, Espagne et Italie, Bruxelles, Éditions Bruylant, 2008.
Blanchet Philippe, Discriminations : combattre la glottophobie, Collection « Petite encyclopédie critique », Paris, Éditions Textuel, 2016.
Boskovic Sanja, Julie Rançon, Valetopoulos Freiderikos, « Avant-propos - Enseigner le
français langue étrangère à des apprenants natifs de langues modimes », Revue du Centre Européen d'Études Slaves [En ligne], Numéro 6, mis à jour le : 07/03/2017, URL :
https://etudesslaves.edel.univ-poitiers.fr/index.php?id=1189
Busquets Joan, Platon Sébastien, Viaut Alain (dir.), Identifier et catégoriser les langues minoritaires en Europe occidentale, Pessac, MS Aquitaine, 2014, OpenEdition Books, 2019, https://books.openedition.org/msha/1747?lang=fr
Colonna Romain, Les locuteurs et les langues : pouvoirs, non-pouvoirs et contre-pouvoirs, Limoges, Éditions Lambert-Lucas, 2014.
Forlot Gilles et Ouvrard Louise (directeur et directrice), Variation linguistique, Le cas des langues moins enseignées, Paris, Éditions Inalco-Presses, 2020.
Gerbault Jeannine, Boré Cécile et Ertlé Antoine, Euromobil, une fenêtre sur l’Europe, in Caroline Rizza, TICE, enseignement supérieur et formation, Revue Distances et savoirs, Vol. 7, N° 2/ Avril-Juin 2009.
Groux Dominique et Porcher Louis, L’apprentissage précoce des langues, Paris, Éditions Presses Universitaires de France, 2009.
Jacquier Vaitea, Approche collaborative de la mise en place d'un dispositif d'apprentissage des langues MoDiMEs à l'Université de Nantes : comment enclencher le processus de distanciation culturelle dans le cadre d'une préparation à la mobilité internationale ?, Thèse de doctorat en sciences du langage, sous la direction de Marie-Françoise Narcy-Combes, Hervé Quintin, Nantes, CRINI, 2017, https://archive.bu.univ-nantes.fr/pollux/show.action?id=d1b0f593-cb0b-4027-bc27-ecfcda72d106
Leray Christian et Manzano Francis, « Langues en contact, Canada, Bretagne », Cahiers de sociolinguistique, N°7, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2003.
Milin Rozenn et Blanchet Philippe, Langues régionales : Idées fausses et vraies questions, Paris, Éditions Héliopoles, 2025.
Rispail Marielle, « Des langues minoritaires en contexte plurilingue francophone », Revue Cahiers de linguistique, vol. 42/1, Ottignies-Louvain-la-Neuve, Éditions EME, 2017.
Roudometof Victor, Traduit de l’anglais par Raillard Sarah-Louise, « Qu’est-ce que la glocalisation ? », Revue Réseaux, N° 226-227(2), p. 45-70, 2021, https://doi.org/10.3917/res.226.0045.
Silva R., Costa R. & Ferreira F, Entre langue générale et langue de spécialité une question de collocations, ELA. Études de Linguistique Appliquée, vol. 3, n° 135, p. 347-359, 2004, http://www.cairn.info/revue-ela-2004-3-page-347.htm
Viaut Alain, Catégories référentes des langues minoritaires en Europe, Bordeaux, Éditions MSH Aquitaine, 2020.
La gouvernance linguistique des universités et établissements d’enseignement supérieur, (Coordonnée par) Jean-Claude Beacco, Olivier Bertrand, José Carlos Herrera et al., Paris, Éditions de l’école polytechnique, Hors collection, 2022.
Langues moins diffusées et moins enseignées (MoDiMEs) : Langues enseignées, langues des apprenants, Fryni Kakoyianni-Doa, Monique Monville-Burston, Salomi Papadima-Sophocleous, Freiderikos Valetopoulos (sous la direction de), Lausanne, Éditions Peter Lang, 2019.
[1] Congrès ANLEA/AILEA Saint-Etienne (2019): Jean-Louis Calvet est intervenu pour parler de la mondialisation linguistique et Olivier Galin du « gaga d’hier et d’aujourd’hui ». Congrès ANLEA/AILEA Brest ( 2021) : Diffusion des films en breton du réalisateur Sébastien Le Guillou et concert en langues celtiques des chanteuses Brigitte Kloareg de Brest, Margaret Bennett de l'île de Skye, Deirbhile Ni Bhrolchain d’Irlande, Mary-Anne Roberts, originaire de Trinidad et Tobago et installée au pays de Galles. Congrès ANLEA/AILEA Strasbourg ( 2022), propos de chefs d’entreprise sur le dialecte alsacien.
[2] Henriette Walter, « Le français : un patois qui a réussi ? », in Le français dans tous les sens, Paris, Editions Robert Laffont, 1988, p. 16.
[3] Sophie Bécherel, « 7000 langues sont parlées dans le monde mais 25 disparaissent chaque année », Société, Radio France.fr, 7 février 2021, https://www.radiofrance.fr/franceinter/7-000-langues-sont-parlees-dans-le-monde-mais-25-disparaissent-chaque-annee-5795372, consulté le 20/02/2025.
[4] Lien de la revue en ligne :