3. Philosophie de la pauvreté et créativité sociale

Mise à jour le   25/10/2022

Porteurs du programme :
David Jousset (MCF HDR), Dimitri Kasprzyk (MCF)

 

Autres collègues HCTI impliqués :
Alain Kerhervé (PR), Semyon Tanguy-André (doctorant en Philosophie sociale – HCTI – Université de Brest)

 

Autres collègues extérieurs à l’UBO et laboratoires associés :
Cécile LAVERGNE (MCF Philosophie, Unité de recherche en sociologie, philosophie et anthropologie politiques SOPHIAPOL EA 3932 – Nanterre), Marie GARRAU (MCF Philosophie - UMR 8103 - ISJPS : Institut des Sciences Juridique et Philosophique de la Sorbonne), Guillaume LE BLANC (PR Philosophie – Laboratoire du Changement Social et Politique – Paris Diderot), Fred POCHE (PR Philosophie - Recherches en clinique psychanalytique, processus psychiques, et esthétique, EA 4050-CRCP, Université catholique d’Angers), Emmanuel RENAULT (PR Philosophie – SOPHIAPOL, Nanterre), Bruno TARDIEU (Directeur du Centre de mémoire et de recherche Joseph Wresinski – mouvement international ATD Quart Monde)


Présentation :
La pauvreté est un domaine de l’expérience humaine qui a fait l’objet d’études nombreuses ayant une portée philosophique forte, que ce soit en sociologie (Bourdieu, Castel, S. Paugam), anthropologie (Lewis, M. Agier), économie des inégalités (P. Salama, A. Sen) ou encore histoire (Geremek, Mollat). Elle est rarement thématisée comme telle dans le discours philosophique, en dehors d’approches de théorie de la socialisation (Simmel) ou d’une problématique de la gouvernance des sujets (Foucault). En philosophie sociale, il s’agit surtout d’une philosophie du peuple (Proudhon) souvent critiquée au nom d’une raison plus scientifique (Marx) ou de l’ambivalence de la fascination de la démocratie pour l’égalité (Tocqueville). Dans l’héritage de Marx, la Théorie critique (d’Adorno à A. Honneth) conceptualise l’aliénation, le déni de reconnaissance ou le mépris, plus que l’expérience de l’exclusion sociale en tant qu’elle produit cette forme cumulative, durable et systémique des différentes pauvretés qui constitue la configuration de la misère. Même le pragmatisme (Addams, Dewey) semble peu laisser émerger ce que la pauvreté radicale recèle de pensée neuve.

En effet l’expression de « philosophie de la pauvreté » n’entend pas ici donner à la philosophie académique un objet qui serait la pauvreté mais plutôt essayer de faire se rencontrer des pensées différentes, certaines issues de la philosophie sociale (E. Renault), politique (J. Rancière) ou d’autres approches (philosophie de l’être au monde, des limites de l’humain), certaines issues de l’expérience même de la grande pauvreté et de l’action de lutte qu’elle suscite en retour.

Le programme de recherche vise en effet à être attentif à la créativité sociale qui a lieu dans l’expérience même de la pauvreté : comment les personnes très pauvres maintiennent, préservent voire renouent du lien social ? Quelle est leur contribution à la création de la société, non seulement au niveau de la vie matérielle des corps mais aussi au niveau de l’imaginaire social, des traces historiques, de l’expérimentation d’autres formes de vie sociale que celles qui produisent ou tolèrent l’exclusion ?

 

Ce programme pourrait se déployer selon différentes orientations en parallèle :

  • Analyse généalogique des discours philosophiques sur la pauvreté, notamment dans les différents courants de la philosophie sociale contemporaine, depuis Rousseau ;
     
  • Analyse des discours et représentations de la pauvreté, à travers l’étude de sources documentaires et archivistiques. Si l’Antiquité gréco-romaine laisse très peu la parole aux pauvres dans les sources écrites, puisque la majorité de la population était analphabète, les œuvres littéraires antiques, qui sont certes pour l’essentiel produites par une élite fort éloignée des préoccupations de la majeure partie de l’humanité, n’en offrent pas moins, par le biais de la fiction (romanesque ou rhétorique), du mythe, de la réflexion morale ou du récit historique ou biographique, des tableaux de la pauvreté, mais aussi des descriptions des processus qui entraînent la déchéance d’un individu, et ce dans différentes couches de la société. La correspondance des individus (Libanios, Synésios), leur autobiographie, leurs rêves (tels que les reproduit le traité d’interprétation des songes d’Artémidore), les discours des orateurs sont autant de textes qui racontent une déchéance (ou les tentatives pour y échapper) et laissent transparaître la perception de ceux qui la subissent. Mais ces documents littéraires, donc fortement biaisés, méritent d’être lus en regard des textes documentaires (archives personnelles, correspondances individuelles ou administratives, ex-votos, plaintes et comptes rendus d’audiences judiciaires tels qu’en ont livré les Actes des Martyrs païens) qui laissent transparaître le vécu des individus pauvres ou craignant de le devenir. Ce travail d’analyse discursive, et non pas historique ou sociologique, de textes parcellaires, qui nous sont parvenus de façon forcément aléatoire, au gré des découvertes archéologiques, servira de point de comparaison, que nous espérons fécond, à l’Étude des archives du Centre de recherche d’ATD Quart Monde : 60 ans de documents (récits de vie, universités populaires) de provenance internationale, notamment les écrits largement inédits du fondateur, Joseph Wresinski.
     
  • Un aspect de la créativité sociale sera d’étudier dans la perspective des plus pauvres les « pratiques de sociabilité » : quelles spécificités ont ces pratiques chez les plus pauvres, quelles modélisations, quelles diffusions dans le reste de la société ? Un enjeu philosophique serait d’interroger ici la notion de pratique : comment un ‘faire société’ se joue dans des façons de pratiquer la vie sociale ? (par exemple les actes de solidarité, de résistance au délitement social) ; l’étude de certaines réalités du monde antique offrira peut-être un contrepoint fructueux, à travers l’étude des rapports parfois poreux entre les individus situés au bas de l’échelle sociale, mais théoriquement intégrés à la société (du fait, par exemple, qu’ils paient des taxes) et ceux qui se sont de facto affranchis du monde régi par des règles sociales codifiées en basculant dans le brigandage, comme l’atteste la documentation papyrologique.
     
  • Animation d’une co-recherche entre philosophes de métier, personnes ayant l’expérience de la grande pauvreté (militants au sein du mouvement international ATD Quart Monde) et volontaires engagés à leur côté : ce séminaire international de philosophie sociale (« Penser l’être social » ) déjà engagé (2019-2021, participants d’Angleterre, Belgique, Brésil, Congo, France, Italie, Maurice, Suisse) ouvrira sur des perspectives d’écriture en commun de la pensée sociale, en intégrant un colloque scientifique prévu en partenariat avec des laboratoires de Paris-Sorbonne, Paris-Diderot et Nanterre.
     

 

  • Actes du colloque « Penser l’être social »
  • Collectif issu du séminaire international de philosophie sociale
  • Publications en commun avec d’autres chercheurs de HCTI suite à des journées d’étude ou autres collaborations sur des aspects de recouvrement des programmes.
  • Séminaire « Pauvretés antiques »

ATKINS, E. M. & Osborne, R. (éd.), Poverty in the Roman world, Cambridge University Pr., 2006.
BOURDIEU Pierre (dir.), La misère du monde, Paris, Seuil, coll. « Points essais », 2007 (1993)
BUR Cl., La Citoyenneté dégradée. Une histoire de l’infamie à Rome (312 av. J.-C. – 96 apr. J.-C.), Collection de l’École française de Rome, 2018.
CHABAUD G. (éd.), Classement, Déclassement, Reclassement. De l'Antiquité à nos jours, Presses universitaires de Limoge, coll. « Histoire », 2011.
FLOWER, H. I. The Art of forgetting: disgrace & oblivion in Roman political culture, University of North Carolina Pr., 2006.
GALBOIS E., Rougier-Blanc S. (éd.), La Pauvreté en Grèce ancienne. Formes, représentations, enjeux, Bordeaux, Ausonius, coll. “Scripta Antiqua” 57, 2014.
GEREMEK Bronisław, Les Fils de Caïn. L'image des pauvres et des vagabonds dans la littérature européenne, Flammarion, 1991
JOUSSET David, TARDIEU Bruno, TONGLET Jean, « Les pauvres sont nos maîtres » ! Apprendre de ceux qui résistent à la misère : le paradoxe Wresinski, Paris, Hermann, 2019
KLINGENBERG, A. Sozialer Abstieg in der römischen Kaiserzeit. Risiken der Oberschicht in der Zeit von Augustus bis zum Ende der Severer, Paderborn, Ferdinand Schöningh, 2011
LE BLANC Guillaume, Vies précaires, vies ordinaires, Le Seuil, Paris, 2007
LEVY E. (éd.), La question des pauvres et de la pauvreté dans le monde grec, Revue Ktèma, Univ. de Strasbourg, 2013
PAUGAM Serge, Les Formes élémentaires de la pauvreté, Paris, Puf, 2005 ; La Disqualification sociale. Essai sur la nouvelle pauvreté, Paris, Puf, 1991
PROUDHON Pierre-François, Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère, 1846
RANCIERE Jacques, Le Philosophe et ses pauvres, Fayard, 1983
RENAULT Emmanuel, Souffrances sociales. Sociologie, psychologie et politique, La Découverte, Collection « Armillaire », 2008
SIMMEL Georg, Les Pauvres, P.U.F., 1998 (Sociologie, chap. 7, 1908)
TAYLOR, C., Poverty, wealth, and well-being: experiencing « penia » in democratic Athens, Oxford University Pr., 2017.