À la suite du livre qu’il vient de publier aux Belles lettres (Ulysse dans le monde d’Hermès, février 2023), l’auteur relève et explicite les similitudes qui accompagnent la nature et les actes d’Ulysse, le mortel qui a donné son nom à l’Odyssée, et Hermès, cet immortel si singulier. Tant d’éléments les rapprochent qu’on peut poser l’hypothèse que le personnage fictionnel (Ulysse) a été pensé par les aèdes comme le reflet historicisé et socialisé d’un dieu (Hermès), dieu extraordinairement proche – en dépit de sa condition d’immortel – du monde des humains. L’auteur décèle un fond culturel commun dans l’activité mythique, à l’œuvre dans la poésie qui a produit l’Hymne à Hermès, et l’activité épique qui se déploie dans l’Odyssée. Il en déduit qu’ avec Ulysse dans les poèmes homériques, c’est comme si Hermès s’était fait homme et, selon les nécessités du genre épique, avait revêtu les traits d’un seigneur grec. Hermès apparaît comme le protecteur d’Ulysse et de sa famille (à commencer par son grand-père maternel Autolykos) ; Ulysse, qui lui voue une dévotion particulière, est à plusieurs reprises dans l’Odyssée épaulé par le dieu, qu’il sait reconnaître instantanément. La plus grande proximité réside dans les aspects physiques, intellectuels et moraux, les manières d’être et d’agir que le héros partage avec le dieu. L’intelligence rusée par exemple, la mêtis avec ses deux faces (positive et négative), se retrouve aussi bien chez le dieu que chez Ulysse, personnage ambigu doté d’une légende noire très présente dans le portrait qui est fait du héros par les Tragiques. Comme Hermès, Ulysse est un menteur jamais à court d’une histoire propre à tromper son interlocuteur. Parmi toutes les choses qu’ils ont en commun, figurent aussi leur commune aptitude à franchir les seuils et les limites, à transmettre des messages, à pénétrer dans le royaume des morts, leur propension à voler (Ulysse pillant le pays des Kikones), etc. L’épopée met en valeur l’extraordinaire complexité du personnage d’Ulysse en le confrontant à des figures mineures dont les traits négatifs qui les caractérisent font écho à la part d’ombre du héros (Thersite dans l’Iliade, une sorte de « double grimaçant » d’Ulysse ; ou Dolon, au chant X de l’Iliade ; le mendiant Iros au chant XVIII de l’Odyssée). Au point que l’identité d’Ulysse, sujet par ailleurs à toutes les métamorphoses, devient comme insaisissable : il est bien cet Outis (« Personne ») qui défie le Cyclope. La proximité entre le dieu et le héros apparaît encore dans la figure d’un Ulysse souffrant, façonné là encore comme un double humain d’Hermès. La « figure souffrante » d’Ulysse traverse toute l’Odyssée à travers la description des multiples misères, tant physiques que morales auxquelles le héros est confronté et qu’il doit surmonter avant de pouvoir retrouver son foyer. Mais Hermès, lui-même de façon peu commune et même très rare pour une divinité (l’auteur signale cependant des parallèles avec le dieu Pan) subit lui aussi des avanies qui sont notamment infligées à ses effigies (dont la célèbre mutilation des Hermès à Athènes en 415 avant J.-C.). L’auteur montre à ce propos comment, pour éclairer d’une lumière poétique leur récit des souffrances d’Ulysse (de son départ de chez Calypso jusqu’à sa réinstallation à Ithaque), les aèdes qui ont composé l’Odyssée ont déployé une subtile allégorie lunaire, que pouvaient justifier les cycles parallèles de disparitions et de réapparitions que connaît l’astre nocturne, tout aussi mobile et changeant qu’Ulysse.
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À 18h00
Faculté des Lettres et Sciences Humaines, salle B001