Entre philosophie et psychanalyse : l'image

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Faculté des Lettres et Sciences humaines
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 Entre philosophie et psychanalyse : l’image


Utpictura 18, revue Rubrique. Appel à contributions. Numéro « Entre philosophie et psychanalyse : l’image »
 

Numéro coordonné par Nicolas Robert, Aix-Marseille Université, LPCPP
 

Comité scientifique
Jacopo Bodini, Collège des Bernardins
Anna Caterina Dalmasso. Université de Milan
Nicolas Guérin, Aix-Marseille Université
Laetitia Petit, Aix-Marseille Université
Jean-Jacques Rassial. Aix-Marseille Université
 

Présence de l’image dans la théorie psychanalytique
On se représente généralement la révolution freudienne de la psychanalyse comme instaurant le primat du discours sur toute autre forme de représentation : c’est par le discours que le patient communique avec l’analyste, c’est à partir du discours que quelque chose de l’inconscient se révèle à l’analyse, c’est à une grammaire et donc à un discours de l’inconscient que se réfèrerait cette analyse. Pourtant, que ce soit comme objet (pictural, graphique, matériel) sur lequel elle applique son investigation, comme notion et registre (imaginaire, spéculaire, scopique) depuis lequel elle pense sa métapsychologie ou encore comme discipline (artistique, esthétique) disposant d’un savoir qu’elle interroge, la psychanalyse n’a eu de cesse de s’intéresser au champ du visible et à ses productions. Plus encore, la présence insistante de l’image dans la métapsychologie, aussi bien freudienne que lacanienne, s’avère en effet presque aussi insistante que celle du langage et de la parole et cela malgré l’impact important de la linguistique structurale sur la réflexion de Jacques Lacan. Elle a permis à Freud de penser l’inconscient dans ses manifestations comme dans sa structuration ; elle parcourt la pensée de Jacques Lacan, pour qui le scopique constitue un levier essentiel dans son exploration de la nature de l’inconscient, du sexuel et du sujet.
 

Phénoménologie de l’image et réhabilitation du simulacre
L’Interprétation du rêve est publiée en 1899. Parallèlement, « Bergson écrivait Matière et mémoire en 1896 : c’était le diagnostic d’une crise de la psychologie » que Bergson entend résoudre par la découverte de ce que Deleuze appellera « image-mouvement » (Deleuze, 1983, p. 7). La phénoménologie, qui prend son essor en même temps que la psychanalyse, repense l’articulation entre le logos, traditionnellement gage de rationalité et de méthode, et l’illusion trompeuse des images, toujours suspectées d’apparence trompeuse. De fait, pour la philosophie grecque, l’image était à la fois εἰκὼν, image matérielle, tableau, εἴδωλον, simulacre, fantôme, εἶδος,
forme, apparence et ἰδέα, idée, avec une circulation du sens entre les termes. La position de Platon vis-à-vis de l’image ne se laisse pas cerner facilement : si Socrate, dans le Gorgias, combat le piège du langage tendu par les sophistes contre la recherche de la vérité, et promeut l’idée, dans La République, comme contemplation visuelle, c’est comme dépassement des simulacres de la caverne, c’est-à-dire qu’une forme d’image se substitue à une autre (Deleuze, 1969, p. 296). Rejeté absolument dans le premier Platon, le simulacre fascine dans Le Sophiste, et joue un rôle essentiel dans le raisonnement par division par lequel le dernier Platon introduit une logique révolutionnaire de la différence et de la répétition : une logique similaire s’observe chez Lucrèce, à partir du ballet des simulacres qu’engendre le clinamen.
On observe, dans la philosophie contemporaine, tout un mouvement pour réhabiliter le simulacre, d’abord à partir du rapprochement initié par Merleau-Ponty avec la psychanalyse : son commentaire du stade du miroir lacanien fait ressortir l’articulation entre image spéculaire et conscience du corps propre (Carbone 2013, p. 7), qui donne la consistance d’un simulacre vrai à l’image. Lacan développe sa théorie du scopique à partir d’une lecture attentive du Visible et l’invisible, puis avance la notion de semblant dans le discours, contre les linguistes (Lacan 1971), mais aussi comme contrefeu, depuis une théorie du discours, à l’avancée irrésistible d’une pensée du simulacre : sans doute dialogue-t-il avec Deleuze, comme ensuite Baudrillard et Lyotard dialogueront avec Deleuze et Lacan dans une réflexion qui s’élargit à la critique d’une société du simulacre (Baudrillard, 1981 ; Lyotard, 1994) elle-même en quelque sorte préfigurée par la société du spectacle de Debord (Debord, 1967) et plus en amont par la dissolution du discours et l’abolition du sujet vers quoi tendait le Tractatus de Wittgenstein (Wittgenstein,1921, 2.1).


Une civilisation de l’image ?
L’image comprise comme simulacre informant la société tout entière répète en un sens la révolution sophistique des Grecs. Mais elle est aussi une invention moderne, rendue possible par « l’ère de sa reproductibilité technique » (Benjamin, 1939). Dans un monde où les images peuvent être répétées et falsifiées à l’infini, Benjamin proclame « le déclin de l’aura », qui est l’effet d’authenticité et d’unicité de l’œuvre d’art singulière et de l’objet historique. Mais l’aura ne commence-t-elle pas précisément à exister par et dans le sentiment de son déclin ? Tous les effets de hantise, de conjuration et de spectralité (Derrida, 1993) liés à l’image surgissent au moment où la représentation se banalise et glisse de la sphère de l’art vers celle de la technique.
Le développement contemporain d’une civilisation de l’image (Gusdorf, 1990) compris comme développement d’une civilisation de la technique, prend une signification toute particulière aujourd’hui, alors que l’essor des technologies numériques et maintenant de l’intelligence artificielle donne au simulacre consistance matérielle et technique, et réciproquement à l’image une dimension virtuelle, voire spectrale, décisive (Stiegler, 1994-2001).
Qu’entend-on alors exactement par image ? La notion même de civilisation de l’image, du point de vue de l’analyse des médias et des intermédialités, comme du point de vue psychanalytique de l’analyse du sujet et de son rapport au monde, comme dans la prise en compte phénoménologique de l’empreinte que le monde laisse en nous, suppose que l’image aurait pris la place de quelque chose, ou aurait occupé un territoire qui ne lui était pas primitivement dévolu.
C’est cette place, ce territoire, que ce numéro de la revue Rubrique se propose d’aborder.
 

Pistes d’étude
Les enjeux théoriques, historiques et/ou contemporains, de l’image pourront être abordés dans les champs de la psychanalyse, de la philosophie et de l’étude des médias, ou au croisement de ces champs.
Psychanalyse : Présence de l’image dans la théorie psychanalytique (de la référence picturale à la pulsion scopique).
Psychanalyse et phénoménologie : Interactions entre Freud et Bergson, Merleau-Ponty et Lacan sur les questions de l’image, du simulacre et du semblant.
Esthétique et politique de l’image : Répercussions d’une société du spectacle, d’une civilisation de l’image sur la constitution métaphysique et métapsychologique du sujet, sur le lien social, sur les dispositifs de représentation.