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Conférence Marc Feuilloley

Le microbiote cutané : de la peau, aux textiles et à la conquête spatiale

Ismail R.1, Hadjiev E.1, Catovic C.1, Amegnona J.1, Souak D.1,2, Groboillot A.1, Chevalier S.1, Alekhova T.3, Boukerb A.M.1, Feuilloley M.G.J.1,2

1 Unité de Recherche 4312 Communication Bactérienne et Stratégies Anti-infectieuses (UR CBSA) Normandie Université:  Université de Rouen – Université de Caen, 27000 Evreux, France

2 Plateforme Cosmetomics@URN, Université de Rouen Normandie

3 Faculté de Biologie, Université d’Etat de Moscou Lomonossov, Moscou, 119991 Russie

 

Procaryote, (préfixe signifiant avant, et káryon signifiant « noix » en grec ancien, pour le noyau), un terme bien mal venu tant il a été assimilé à « avant la cellule », suggérant en cela que les bactéries et archées ne seraient rien d’autre que des particules inertes. Cela est d’autant plus paradoxal que, comme suggéré par L. Margulis1, les cellules eucaryotes qui composent nos organismes sont issues d’une (voire plusieurs) endosymbioses entre archées et bactéries. Nos cellules eucaryotes en portent la trace puisque leur génome est formé de 44% de séquences d’origine archéennes et 56% d’origine bactérienne2. D’autre part, apparus il y a environ 4 milliards années, contre environ 1,5 milliards pour les eucaryotes, les procaryotes, dont les bactéries, ont suivi des stratégies évolutives différentes même si on constate aujourd’hui l’impressionnante convergence. Les bactéries vivent essentiellement sous forme de biofilms dont la matrice complexe n’est pas sans rappeler celle d’un tissu conjonctif3. Au sein de ces biofilms, les bactéries communiquent par voie chimique (quorum-sensing)4 mais échangent aussi des signaux électriques via des nanoconducteurs5. Elles sont même capables d’apotose comme une cellule eucaryote6. L’ensemble de ces fonctions est codé par un génome ou on distingue des parties stables (core) et des zones rapidement échangeables, mais d’une taille globale bien plus réduite que chez les eucaryotes et sans épissage alternatif. Pourtant, avec des temps de génération très courts (jusqu’à 20 min), les bactéries sont en masse le second règne de la biosphère7 et possèdent des capacités d’adaptation remarquables ce qui explique leur succès évolutif. Les bactéries ont ainsi développé des outils de détection de variations leur environnement qu’elles soient de nature biologiques, chimiques ou physiques.

Au sein du corps humain, le microbiote bactérien représente une composante essentielle, bien supérieure en nombre et en activité métabolique à la composante eucaryote8 et contrairement aux idées reçues, l’infection est une exception et la relation est essentiellement de nature commensale, voire symbiotique. Au niveau de la peau et des épidermes de surface, qui hébergent le second microbiote du corps humain, on a mis en évidence au cours des 15 dernières années, que les bactéries sont capables de détecter et de s’adapter à de nombreux facteurs locaux produits par les kératinocytes, les capillaires et les terminaisons qui innervent la peau, qu’il s’agisse de peptides antimicrobiens (défensines, cathélicidines)9, de cytokines et chémokines10, ou d’hormones et neuro-hormones (Substance P, CGRP, peptides natriurétiques, catécholamines, estradiol…)11. Cette relation est impliquée dans la réparation cutanée12, l’éducation de l’immunité13, ou des processus tels que l’inflammation neurogène14. Une part essentielle de cette capacité de détection des facteurs de l’hôte, réside dans le fait que les bactéries ont développé des protéines multifonctionnelles particulières capables d’exercer des fonctions totalement différentes dans différentes localisations, stroma ou membrane par exemple. Ces protéines, appelées protéines du clair de lune (moonlighting proteins) ont souvent des fonctions d’enzymes ou de chaperones dans le stroma bactérien mais peuvent être transportées à la membrane où elles changent de configuration et/ou se multimèrisent et acquièrent des fonctions de senseur environnementaux15. C’est ainsi que le facteur d’élongation ribosomal EfTu et la chaperone DnaK ont été identifiés comme senseurs de la Substance P et du CGRP, respectivement16. L’exploration du mécanisme d’action d’EfTu et DnaK a permis de mettre en évidence l’implication d’une autre famille de protéines, des mécanosenseurs17, tels que la protéine MscL, qui comme leur nom l’indiquent sont sensibles aux tensions et efforts mécaniques exercés sur la membrane bactérienne.  

En tant qu’interface entre l’environnement et le milieu intérieur, la peau et par la même son microbiote, est aussi exposée à de nombreux facteurs environnementaux tels que les UVs, la pollution atmosphérique ou les cosmétiques, qui impactent aussi négativement ou positivement la croissance, la virulence et la capacité de formation de biofilm du microbiote cutané18,19. Parmi les paramètres qui régulent le microenvironnement cutané, il ne faut pas oublier la présence des textiles qui couvrent l’essentiel de notre surface corporelle. L’interaction des bactéries du microbiote cutané avec les fibres textiles a fait l’objet de nombreuses études dans la mesure où ces microorganismes peuvent contribuer à l’altération des propriétés et à la dégradation des tissus20. Ce n’est que plus récemment qu’on s’est intéressé à la composante inverse en recherchant l’impact des substances relarguées par les textiles sur des germes représentatifs du microbiote cutané tels que Staphylococcus aureus et Staphylococcus epidermidis. De fait, selon les types de fibres (lin ou coton) et selon les conditions de culture (classique ou biologique), on constate une modification de la cytotoxicité et de la formation de biofilm par ces bactéries suggérant un potentiel impact sur l’équilibre cutané21.

La sensibilité du microbiote cutané au microenvironnement et les conséquences pouvant en découler ont particulièrement intéressé les spécialistes du vol spatial. En effet, tous les objets envoyés dans l’espace sont décontaminés avec précaution, mais un élément ne peut pas l’être, les cosmonautes eux-mêmes. Au sol comme dans l’espace, la peau desquame et chaque squame emporte une trentaine de microorganismes22 qui, en apesanteur diffusent et s’adsorbent sur les surfaces. Leur développent sous forme de micro-colonies ou de biofilms est favorisé par l’environnement des vaisseaux spatiaux tels que la station spatiale internationale (ISS) ou règnent en permanence une température et une hygrométrie élevées (+/- 22°C,  60% d’humidité)23.  Les surfaces des compartiments Américains comme Russes, bien qu’ayant des revêtements différents, sont ainsi très fortement contaminés par des bactéries cutanées humaines24 et l’effet de ces microorganismes sur les matériaux (textiles, parois) peut s’avérer critique25,26. De plus, l’impact de l’environnement spatial (microgravité, rayonnement ionisants, confinement) sur ces germes reste mal connu. Une analyse métagénomique réalisée par le CBSA sur des écouvillons ramenés à la station de Baïkonour en 2019 a montré une abondance de Cutibactéries, Corynébactéries et de Staphylocoques. Cette contamination des surfaces est favorisée par l’impossibilité de nettoyer autrement qu’avec des lingettes imbibées d’alcool afin d’éviter la production de gouttelettes pouvant être inhalées par l’équipage. Un effet des conditions spatiales sur la virulence et la résistance des germes aux antibiotiques reste discuté mais probable 27. Etudier cette question est complexe, à la fois car les bactéries stressées sont très difficiles à remettre en culture, de par la présence de contaminants fungiques compétiteurs et par la nécessité de limiter le nombre de générations sur terre avant toute étude expérimentale. Un protocole de réhydratation et de culture court terme en milieu liquide a permis d’isoler des bactéries pré-identifiées comme appartenant aux genres Pseudomonas, Staphylococcus et Paracoccus. Ces souches ont été conservées en cryotubes à -80°C avant d’en étudier la physiologie et la virulence après revivification et suite à une période de réadaptation de plusieurs semaines.

Le microbiote cutané humain est aujourd’hui reconnu comme une préoccupation majeure à prendre en compte pour la sécurité des futurs vols habités de longue durée.

Références :

1 Sagan L. (1966) On the origin of mitosing cells. J. Theor. Biol. 14:‎255–274.

2 Brueckner J, Martin WF. (2020) Bacterial genes outnumber archaeal genes in eukaryotic genomes

Gen. Biol. Evol. 12 :282–292.

3 Zhao A, Sun J., Liu Y. (2023) Understanding bacterial biofilms: From definition to treatment strategies. Front. Cell. Infect. Microbiol. 13:1137947.

4 Mukherjee S, Bassler BL. (2019) Bacterial quorum sensing in complex and dynamically changing environments. Nat. Rev. Microbiol. 17:371-382.

5 El-Naggar MY, Wanger G, Leung KM, Yuzvinsky TD, Southam G, Yang J, Lau WM, Nealson KH, Gorby YA. (2010) Electrical transport along bacterial nanowires from Shewanella oneidensis MR-1. Proc. Natl. Acad . Sci. USA. 107:18127-31.

6 Koonin EV, Aravind L. (2002) Origin and evolution of eukaryotic apoptosis: the bacterial connection Cell Death Differ. 9:394-404.

7 Bar-On YM, Phillips R, Milo R. (2018) The biomass distribution on Earth. Proc. Natl. Acad . Sci. USA. 115:6506-6511.

8 Bréchignac C. (2013) A la découverte d’Homo microbicus. La lettre de l’Académie des Sciences N°32. 30 p, Acad. Sci. ISSN2102-5398

9. Rademacher F, Gläser R, Harder J. (2021) Antimicrobial peptides and proteins: Interaction with the skin microbiota. Exp. Dermatol. 30:1496-1508.

10 Kobayashi T, Imanishi I. (2021) Epithelial-immune crosstalk with the skin microbiota in homeostasis and atopic dermatitis - a mini review. Vet. Dermatol. 32:533-e147.

11 Racine PJ, Janvier X, Clabaut M, Catovic C, Souak D, Boukerb AM, Groboillot A, Konto-Ghiorghi Y, Duclairoir-Poc C, Lesouhaitier O, Orange N, Chevalier S, Feuilloley MGJ. (2020) Dialog between skin and its microbiota: Emergence of "Cutaneous Bacterial Endocrinology". Exp. Dermatol. 29:790-800.

12 Nakamizo S , Egawa G, Honda T, Nakajima S, Belkaid Y, Kabashima K. (2015) Commensal bacteria and cutaneous immunity. Semin. Immunopathol. 37:73-80.

13. Lunjani  N, Ahearn-Ford  S, Dube FS, Hlela C, O'Mahony  L. (2021) Mechanisms of microbe-immune system dialogue within the skin. Genes Immun. 22:276-288.

14. Feuilloley MGJ. (2018) Antidromic neurogenic activity and cutaneous bacterial flora. Sem. Immunopathol. 40:281-289.

15. Amblee V, Jeffery CJ. (2015) Physical features of intracellular proteins that moonlight on the cell surface. PLoS One 10:e0130575.

16. N'Diaye A, Gannesen A, Valérie Borrel V, Maillot O, Enault J, Racine P-J, Plakunov V, Chevalier S, Lesouhaitier O, Feuilloley MGJ. (2017) Substance P and Calcitonin Gene Related Peptide (CGRP): Key regulators of cutaneous microbiote homeostasis. Front. Endocrinol. 8:1-7.

17. Mijouin L, Hillion M, Ramdani Y, Jaouen T, Duclairoir-Poc C, Follet-Gueye ML, Lati E, Yvergnaux F, Driouich A, Lefeuvre L, Farmer C, Misery L, Feuilloley MG. (2013) Effects of a skin neuropeptide (Substance P) on cutaneous microflora. PLoS One 8:e78773.

18 Souak D, Barreau M, Courtois A, Anadré V, Duclairoir-Poc C, Feuilloley MGJ, Gault M.  (2021) Challenging cosmetic innovation: skin microbiota and probiotics to protect the skin from UV-induced damages. Microorganisms 9: 936.

19. Janvier X, Alexandre S, Boukerb AM, Souak D, Maillot O, Barreau M, Gouriou F, Grillon C, Feuilloley MGJ, Groboillot A. (2020) Deleterious effects of an air pollutant (NO2) on a selection of commensal skin bacterial strains, potential contributor to dysbiosis? Front Microbiol. 11:591839.

20. Boryo DEA. (2013) The effect of microbes on textile material: A Review on the way-out so far. Int. J. Eng. Sci. 2 :09-13.

21 Catovic C, Abbes I, Barreau M, Sauvage C, Follet J, Duclairoir-Poc C, Groboillot A, Leblanc S, Svinareff P, Chevalier S, Feuilloley MGJ. (2022) Cotton and flax textiles leachables impact differently cutaneous Staphylococcus aureus and Staphylococcus epidermidis biofilm formation and cytotoxicity. Life 12:535.

22. Percival SL, Emanuel C, Cutting KF, Williams DW. (2012) Microbiology of the skin and the role of biofilms in infection. Int. Wound J. 9:14-32.

23. Mora M, Mahnert A, Koskinen K, Pausan MR, Oberauner-Wappis L, Krause R, Perras AK, Gorkiewicz G, Berg G, Moissl-Eichinger C. (2016) Microorganisms in confined habitats: Microbial monitoring and control of intensive care units, operating rooms, cleanrooms and the International Space Station. Front. Microbiol. 7:1573.

24. Singh NK, Wood JM, Karouia F, Venkateswaran K (2018) Succession and persistence of microbial communities and antimicrobial resistance genes associated with International Space Station environmental surfaces. Microbiome 6:204.

25. Alekhova TA, Alexandrova AV, Yu. Novozhilova T, Lysak LV, Zagustina NA. (2008) The experiment “Initial stages of biological damage and deterioration in space”. Moscow Univ. Biol. Sci. Bull. 63:163-169.

26. Alekhova TA, Ya. Shklover V, Zagustina NA, Shvyndinà NV, Plotnikov AD, Vasil’ev AL. (2010) Electron microscopy investigation of AlMg6 aluminum alloy surface defects caused by microorganisms extracted in space stations. J. Surf. Invest. 4:747-753.

27. Fajardo-Cavazos P, Leehan JD, Nicholson WL. (2016) Alterations in the spectrum of spontaneous rifampicin-resistance mutations in the Bacillus subtilis rpoB gene after cultivation in the human spaceflight environment. Front. Microbiol. 9:192.

 

 

 

 

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