Sophie Guermès. Les spirales de l'intime. Essai sur La Modification

Le
Cahiers du CECJI -20- ISBN n° 978-2-9582731-0-1 - 212 pages -25 € - Cet ouvrage sera présenté le 31 mars 2023 à l'université Roma Tre.
Michel Butor

      Soixante-cinq ans après sa parution, que reste-t-il à dire à propos de La Modification, qui suscita une abondante littérature critique ? Cet essai vise, d’une part, à montrer que le roman de Michel Butor emprunte des traits à d’autres genres, relevant de la littérature de l’intime. La forme romanesque cache dans ses plis une exploration du for intérieur qui revivifie l'exercice spi­rituel de l’examen de conscience et rapproche le récit du journal ; sous l'effet du dédoublement, ce roman parfois lyrique apparaît aussi comme une lettre ouverte à soi-même. D’autre part, la plongée dans l’intime dessine une spirale, forme caractéristique, selon Michel Butor lui-même, de l’art baroque. La pen­sée de Léon Delmont, méditant sans cesse sur sa propre situation, s'enroule autour d’un point fixe, qui est lui-même ; toutefois, relayée par l’exercice ré­gulier de la mémoire et par des états de conscience qui vont du rêve éveillé au cauchemar, elle s’éloigne de ce point fixe en s’élargissant au point de remonter le plus loin possible dans le temps. La figure géométrique de la spirale reste ouverte, elle n’a pas de fin, mais on peut la lire dans les deux sens selon qu’on interprète son mouvement comme se rapprochant du point central, ou au contraire s’en éloignant.

       Dante suivait un mouvement en spirale lorsqu’il des­cendait accompagné de Virgile de cercle en cercle dans le monde souterrain. Ce mouvement, rappelé tout au long de la première partie de la Divine Comédie, fait comprendre pourquoi Léon, lecteur de l’Énéide, est aussi membre de la Société Dante Alighieri située au centre de Rome. Il se trouve également, comme le poète toscan, au milieu du chemin de sa vie, dans une « forêt obscure » ; mais si le début du voyage à Rome semble offrir un avant-goût du paradis, le milieu du trajet, à mesure que le personnage est assailli par les doutes, de­vient un purgatoire, et la fin un enfer. Dante, au terme de son long périple, contemplait dans un dernier cercle la lumière divine ; tandis que la pensée de Léon tourne dans le lieu mal éclairé de la conscience de soi.