Colloque international : Sorbonne Université (CELLF) - Université de Bretagne occidentale (CECJI) les 14 et 15 mars 2024 |
Les propositions, d’une longueur d’une demi-page, accompagnées d’une courte bio-bibliographie, sont à adresser pour le vendredi 30 juin 2023 à :
agnescousson@gmail.com christine.noille@sorbonne-universite.fr emmanuelle.tabet@free.fr
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Comité d’organisation
Agnès Cousson (Université de Bretagne occidentale, CELLF) - Christine Noille (Sorbonne Université, CELLF) - Emmanuelle Tabet (CNRS, CELLF)
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Comité scientifique
Emmanuel Bury (Sorbonne Université) - Sophie Guermès (Université de Bretagne occidentale) - Béatrice Guion (Université de Strasbourg) - Jean-Louis Jeannelle (Sorbonne Université) - Nadine Kuperty-Tsur (Université de Tel Aviv) - Claude La Charité (Université du Québec à Rimouski) - Christophe Martin (Sorbonne Université) - Éric Suire (Université Bordeaux-Montaigne) - François Trémolières (Université de Rennes 2)
- État de la question
Sacrement chrétien, la confession a nourri une vaste littérature qui décline sa pratique écrite en fonction des différents sens du mot : aveu de ses fautes à un prêtre, expression de sa confiance en Dieu, ou encore confession ou profession de foi, une acception du terme illustrée par exemple par l’œuvre du théologien protestant Théodore de Bèze. Acte de contrition ou de prosélytisme, cette pratique implique l’expression de l’intériorité par un « je » et une quête dont la nature varie, du pardon de Dieu ou de celui qui fait figure d’offensé à la défense d’une foi. Ce schéma discursif met en place une situation énonciative hiérarchisée mimétique de la relation d’inégalité qui unit l’offensé et l’offenseur. L’un fait figure d’autorité morale, l’autre est un pécheur pénitent, soumis à l’humiliation requise par l’expiation des fautes ou en proie à la honte qu’implique tout aveu d’un acte répréhensible. Quand elle est « profession » de foi, la confession privilégie une rhétorique argumentative qui oppose une perception à une autre, suivant une logique apologétique indissociable du contexte politique. Aussi les guerres de religion et les conversions religieuses donnent-elle naissance à une vaste littérature confessionnelle. Quelle que soit sa nature, la confession favorise la réflexivité et la prise de conscience par le sujet de sa singularité propre, grâce à la verbalisation de sentiments ou de pensées jugées illégitimes d’un point de vue moral. Les procédés d’écriture reflètent ce rapport à soi marqué par une culpabilité que la mise à l’écrit peut atténuer ou au contraire exacerber.
Si tout aveu n’est pas confession, toute confession, religieuse ou profane, implique l’aveu, un type de discours qui fait intervenir différents sentiments, la culpabilité, le remords, la confusion, et qui conduit à des pratiques rhétoriques variées entre reconnaissance d’une faute, justification de soi et quête d’une absolution. La figure de l’autre, représentée par Dieu, le tiers à qui s’adresse le discours ou l’œil de la conscience personnelle, s’avère centrale. Toute pratique confessionnelle est un discours adressé, marqué par une interaction langagière qui lui confère un sens et qui propose une issue à la reconnaissance de la faute. Différentes rhétoriques se mettent en œuvre, destinées à apitoyer, à convaincre de la bonne foi du coupable, à emporter le pardon requis. Dans le cas des professions de foi, il s’agira de plaider la cause d’une religion, de défendre des valeurs constitutives de l’identité morale et spirituelle du sujet. L’aveu laisse sa place à un lexique apologétique.
Expression d’une conscience repentante ou résistante et conquérante, la confession appelle l’écriture à la première personne et trouve dans la littérature du for intérieur ses modalités formelles de prédilection.
La lettre tout d’abord fait figure d’instrument privilégié en raison de son appartenance à une double tradition morale et pédagogique. Les confessions-professions mettent aussi à profit son rôle dans la circulation du savoir à l’échelle européenne lancé par l’humanisme. Dans le cadre des écritures religieuses, le repentant adopte la posture d’un élève qui attend sinon une sanction, du moins des moyens de correction de soi. Les lettres familières profanes accueillent d’autres types de confession, des confidences intimes faites en confiance à un proche, placées sous le signe du secret et de la confiance. La rédaction donne à lire la vertu cathartique de l’écriture, également à l’œuvre dans les autres genres personnels. La mise à l’écrit autorise une mise à distance des affects qui peut correspondre aussi bien à une théâtralisation de soi qu’à une première étape dans la sérénité retrouvée.
Le récit rétrospectif des Mémoires et des autobiographies offre un autre espace d’accueil pour la confession d’un « je » qui s’exprime cette fois au prisme de l’expérience acquise par le temps. Ce regard informé du scripteur hiérarchise les informations qui composent le texte, ordonné autour de ce qui apparaît comme des moments marquants de la vie. Les Confessions de saint Augustin dont on sait le succès à l’âge classique proposent un modèle d’écriture ordonné en deux temps, les années qui précèdent la conversion et celles qui la suivent, un schéma largement suivi dans les autobiographies des convertis. L’aveu des fautes passées aboutit à une leçon sur soi qui est aussi compréhension de soi, une relation à l’écriture qui prendra de l’ampleur au fil des siècles à mesure que s’affirme la notion d’individu et que s’estompe le malaise à se dire caractéristique de l’âge classique.
Le genre du Journal, bilan quotidien et régulier de moments de vie est un autre espace textuel à explorer. L’auto-destination du propos imposée par le genre n’empêche pas une rédaction écrite sous le regard d’un tiers qui oriente les choix discursifs et la représentation de soi : Dieu dans le cas des croyant, un lecteur imaginaire ou importun qui intercepterait l’écrit, enfin la postérité, à laquelle tout écrivain s’adresse. Si le XIXe siècle voit la floraison du genre, les écrits de piété et les récits d’itinéraires spirituels d’Ancien Régime préfigurent ce type de texte. Une conscience s’exprime dans un vocabulaire expiatoire orienté par la volonté de s’humilier.
Il faut compter aussi sur le genre plus confidentiel du testament. Il s’agit ici moins de consigner un passé que d’envisager une postérité telle que le « je » l’ordonne, à partir de la lecture de sa vie et des fautes qu’il a pu faire ou qu’il a su éviter. De nouveau le rôle de la pratique confessionnelle dans l’organisation narrative est à interroger. Quelle que soit la forme générique retenue, la question de la sincérité du discours de confession revient soulevée par l’intention consciente ou non du « je » d’influencer le lecteur en sa faveur ou, dans le cas des écrits religieux, d’accentuer la sévérité du jugement attendu par une contrition excessive.
La question se pose en d’autres termes dans la fiction, qui s’est largement inspirée de la confession au point que le terme désigne une scène de genre (voir La Princesse de Clèves). Le roman autobiographique et le roman épistolaire, qui autorisent une prise de parole direct du « je », offrent des multiples déclinaisons de la pratique et des aveux de toutes sortes. L’ultime lettre de Julie dans La Nouvelle Héloïse apparaît comme un exemple canonique de confession écrite fictive. Au siècle suivant, les Confessions d’un enfant du siècle proposent une variation autour du terme emblématique de l’influence du contexte historique, politique et religieux sur l’expression de l’intériorité et les choix discursifs. Récurrente dans le roman (on songe à la scène du parloir qui réunit le chevalier des Grieux et Manon Lescaut), la confession est présente aussi au théâtre. L’aveu de Phèdre vient immédiatement à l’esprit. La poésie lyrique, mémoire d’une âme, constitue un autre champ d’étude du thème.
Réelles ou fictives, les pratiques écrites de la confession s’illustrent ainsi dans des corpus génériques variés et témoignent de l’inscription de l’exercice dans le contexte moral et socio historique du temps de la rédaction. Aveu ou profession : comment s’écrit la confession au fil des siècles, du christianisme primitif à l’Ancien Régime dominé par le pouvoir clérical, à la république laïque d’aujourd’hui ? Quels desseins expliquent les raisons de sa présence et les modalités d’énonciation choisies ?
- Quelques axes indicatifs (non limitatifs)
Axes génériques :
- Les confessions dans la lignée augustinienne : reprise et rejet du modèle
- Les récits de conversion et de profession de foi
- Le modèle de la confession dans les écrits d’aveu et de témoignage non fictionnels
- Le modèle de la confession dans la fiction
- Pastiches et parodies du modèle (la Confession du sieur de Sancy d’Agrippa d’Aubigné…)
Stylistique et rhétorique :
Le vocabulaire de la confession (aveu, examen de conscience, découverte des fautes) et les types de discours mis en œuvre selon l’enjeu rhétorique alloué au propos ; la scénographie verbale de l’éthos, du pathos et de l’argumentaire confessionnel ; place et enjeu du modèle judicaire de l’aveu…
- Métamorphoses du modèle religieux dans les littératures fictionnelles :
Les adaptations langagières, sociales et formelles d’une pratique codée en contexte fictionnel ; les renouvellements formels et thématiques au fil des siècles, dans les réinvestissements sérieux ou parodiques.
- Confession et écrits contemporains de l’intime :
La nouvelle littérature médiatique (blog, réseaux sociaux) qui fait la part belle à l’exhibition de l’intime, le genre récent de l’autofiction sont des voies d’exploration attendues, dans le dessein d’approfondir les liens entre une pratique écrite ancienne et des pratiques sociales de communication récentes (coming out…), d’interroger les nouveaux rapports qui se tissent entre le confessé et le public inédit des médias.
Éléments de bibliographie
- AUDE Nicolas, Les aveux imaginaire. Scénographie de la confession dans le roman (Angleterre, France, Russie), ENS éditions, 2022.
- BROOKS Peter, Troubling Confessions : Speaking Guilt in Law and Literature, Chicago, University of Chicago Press, 2000.
- COURCELLE Pierre, Les Confessions de saint Augustin dans la tradition littéraire, Études augustiniennes, 1963.
- CHARTIER Roger, « Pratique de l’écrit », Histoire de la vie privée, t. 3, De la Renaissance aux Lumières, R. Chartier, Ph. Ariès, G. Duby (dir.), Paris, Seuil, 1999, p. 113-163.
- CHRÉTIEN Jean-Louis, Conscience et roman, t. 1. La conscience au grand jour, Paris, Minuit, 2009.
- DELUMEAU Jean, Le péché et la peur : la culpabilisation en Occident, XIIIe-XVIIIe siècles, Paris, Fayard, 1983.
- Foucault Michel, Histoire de la sexualité, t. 4. Les Aveux de la chair, Paris, Gallimard, 2018 ; « L’écriture de soi », Corps écrits, n° 5, Paris, PUF, 1983, p. 3-23 ; « Les techniques de soi », Dits et écrits, Paris, Gallimard, 1994, t. 4 (1980-1988).
- GAMBERT Justinia, « Confession et autobiographie. Regards croisés sur saint Augustin et Rousseau », Poétique, n°176, 2014, p. 221-242.
- GASPARINI Philippe, Chroniques de la foi et du doute, Presses Universitaires de Lyon, 2021.
- GERBNER George, « The Social Role of the Confession Magazine », Social Problems, vol. 6, n° 1, 1958, p. 29-40.
- GUSDORF Georges, « De l’autobiographie initiatique à l’autobiographie genre littéraire », Revue d’Histoire littéraire de la France, n° 6, 1975, p. 957-994 ; Lignes de vie 1, Les Écritures du moi, Paris, O. Jacob, 1991 et Lignes de vie 2, Auto-bio-graphie, Paris, O. Jacob, 1991.
- LACASSAGNE Jean-Pierre, « Le discours épistolaire comme travail sur soi », George Sand, une correspondance, éd. Christian Pirot, coll. « Voyage immobile », Paris, 1994, p. 145-158.
- LA CHARITÉ Claude, « Marguerite de Navarre et la lettre de confession », Tangence, n° 84, 2007, p. 11-30.
- L’aveu. Antiquité et Moyen Âge, Actes de la table ronde de Rome (28-30 mars 1984) Rome, Publications de l’École française de Rome, 1986. (En ligne sur Persée)
- OTTAVIANI Didier, « Produire la vérité : aveu et confession », Érudit, n° 48, 2021, p. 3-17.
- RICOEUR Paul, Philosophie de la volonté, t. 2. Finitude et culpabilité, Paris, Aubier, 1988.
- VINCI-ROUSSEL Sophie-Aurore, « Écriture autobiographique et humiliation du moi dans les Mémoires de Pierre Thomas du Fossé », Chroniques de Port-Royal, n° 48, 1999, p. 79-86.